Elle avait, une fois encore, tout planifié. Elle avait insisté pour qu’aucun garde ne l’escorte. Chaque combattant compte, je me contenterai de mon garde muet, avait-elle répondu à chacun des deux hommes. Puis, accompagnée de celui-ci, elle avait rejoint sa cabane, dans les sous-bois.
Adrahé s’amusait beaucoup, elle avait l’impression de rajeunir chaque jour un peu plus. Jouer les bergères apeurées était pour elle un plaisir dont elle ne se lasserait jamais.
- Tiens, voilà pour toi ! Va, et dépense tout si tu veux ! dit-elle à l’archer qui l’accompagnait, en lui lançant une bourse bien remplie.
- Merci ! Quand puis-je revenir …. pour …. ?
- Demain, sois là lorsque le soleil sera à son apogée !
- Bien !
A quelque distance de là, deux hommes se laissaient aller entre des bras experts, songeant à la victoire du lendemain. A l’aube, ils lanceraient l’assaut et il n’y avait aucune raison qu’ils perdent, leurs renseignements étaient formels : ils étaient en supériorité numérique et les plans ennemis n’avaient plus de secret pour eux ….
Après un court repos peuplé de morts et de sang, les hommes s’alignèrent.
Le ciel n’annonçait pas de pluie, il en fut pieusement remercié par les chefs, tandis que les combattants priaient les dieux de leur offrir d’autres aubes et du courage.
Les armées s’élancèrent aux cris des chefs dans la vaste plaine verdoyante. Les canons étaient inutiles car le terrain était trop plat et les seules hauteurs étaient couvertes d’une végétation dense que les hommes n’avaient pas eu le temps de déboiser.
Les premières lignes s’entrechoquèrent dans un grand bruit de ferraille mêlé aux hurlements de guerre censés donner du courage aux hommes. Les archers décochèrent alors leurs flèches.
Adrahé admirait ce jeu de massacre depuis l’orée des bois lorsque, après avoir assez attendu, les chevakiers des deux armées s’élancèrent. Elle recula de quelques pas afin de n’être point vue.
Ce fut à ce moment que les seigneurs se rendirent compte de leur erreur. Le champ de bataille suivait une symétrie parfaite : à chaque cohorte de fantassins s’opposait une troupe ennemie, et les chevakiers, pensant forcer les lignes ennemies par la droite virent leur reflet à l’autre pôle du champ de bataille appliquer l’exacte même tactique.
La vieille femme, depuis son poste d’observation se délectait de la bataille, négligemment appuyée sur sa canne. Les dernières forces de réserve des deux armées étaient mêlées dans un sanglant corps à corps lorsque son garde surgit à ses côtés.
- Que dois-je …
- Tiens ! – une bourse passa de la main d’Adrahé à celle de l’archer – Maintenant, va là où je t’ai dit hier et touche ta cible dans le coup ou sous son bras gauche.
- Ma cible ?
- L’homme engoncé dans sa cape rouge.
Elle s’apprêtait à partir lorsqu’il la retint :
- Mais lequel est-ce ? Tous les chefs en ont une !
- Lequel crois-tu que je veux voir mort ?
Comme l’homme, stupéfait, hésitait à partir, elle insista sur le fait qu’il était payé pour ça, et même bien payé.
- Justement ! Vous m’avez donné tout l’argent que les seigneurs vous avaient offert pour les renseignements et les conseils, qu'y gagnez-vous ?
Mais déjà Adrahé avait tourné les talons, longeant l’orée du bois, pensant qu’elle était vraiment une sale petite vieille, ce qui lui tira un large sourire.
En ajustant son tir, la pensée lui vint que ce serait une belle bataille, sans réel gagnant.
Ils inspirèrent et lentement expirèrent en bandant leurs arcs. Deux traits partirent, deux hommes s’écroulèrent, deux seigneurs, touchés, l'un au cou, l'autre ayant reçu un trait dans l'oeil.
- Pas mal pour une petite vieille ......
La guerre était finie.