Découverte

On entendait une voix provenant de sous un porche. En s’approchant, le clair de lune permettait de voir un tas sombre ayant une vague forme humaine et qui émettait ces sons. En s’approchant encore plus et en dressant l’oreille, on pouvait comprendre :

- Absalom …. Bateau … La Dame …... Creaker ….

Comme les mots revenaient sans cesse, personne ne restait longtemps. Et puis d’ailleurs, pourquoi s’occuper de cette chose, c’était probablement un alcoolique, déjà bien imbibé.

- La Rose de Décembre !!!!

Ce cri déchira le silence de la ruelle. Une touffe de cheveux roux sortit du tas sombre. Quelques instants passèrent sans que rien ne bougea, puis la porte contre laquelle l’être qui avait crié était appuyé s’ouvrit brusquement.

- Aaah ! fit-elle en basculant en arrière.

« elle », car c’était une jeune fille, se leva tant bien que mal et regarda en plissant les yeux la personne qui l’avait dérangée et qui tenait une lanterne bien haut.

- Vous avez le sommeil agité, ma fille ! lui jeta sèchement un homme dont la lanterne aveuglait la jeune fille. Vous comptez rester longtemps ici ?

- Je vous prie de m’excuser sieur, je vais aller plus loin.

Après un dernier regard dédaigneux, l’homme claqua la porte au nez de la rouquine. Dans un mouvement d’humeur, elle donna un bon coup de pied dans la porte puis s’enfuit en courant n’écoutant pas la bordée d’injures qui la poursuivait.

Elle s’affala plus qu’elle ne s’assit sur la margelle d’un puits dont elle fit remonter le seau. Le contact de l’eau glaciale sur ses mains la fit trembler. Le jour se levait et lui montrait enfin le triste état dans lequel elle était. Ses mains présentaient une multitude d’éraflures, témoins d’une course-poursuite avec un chien, un groupe d’enfants mal intentionnés et un homme qui semblait-il voulait l’arrêter pour vagabondage et dégradation de la voie publique. En effet, la rouquine avait vidé son estomac presque sous son nez.
Peu d’accord avec son jugement, la jeune fille avait pris ses jambes à son cou et, malgré quelques chutes, avait réussi à le décourager.

Avec quelques grimaces, elle enleva ses bottines et fit quelques pas pieds nus autour du puits.

- Qu’est-ce qui a bien pu me faire mal cette nuit ? murmura-t-elle d’une voix cassée.

Elle se rassit et regarda sa bottine gauche qui présentait une bosse couleur ivoire et fort dure. Une dent ! Elle était stupéfaite, c’était une dent, probablement celle du chien. Elle se souvenait qu’il avait tenté de la mordre –quel chien ne l’aurait pas fait en voyant quelqu’un lui chiper la nourriture qu’on venait de lui apporter ? – et s’était récolté un sacré coup de pied dans …… les dents !

- Mais quand même ! Sa dent est restée plantée !! s’exclama la jeune fille en contemplant la dent au creux de sa main.

Sa bottine était esthétiquement fichue et le trou dû à la dent situé plutôt bas pourrait laisser l’eau entrer ce qui n’était pas l’idéal si elle voulait continuer de voyager. Elle la remit quand même et se dirigea vers le cœur de la ville. Les boutiques n’étaient pas encore ouvertes pour la plupart, ce qui arrangeait la rouquine.
En fouillant dans ses poches, elle vérifia qu’elle n’avait aucune monnaie puis rabattit son capuchon sur ses cheveux si reconnaissables et continua de déambuler en quête, entre autres, de nourriture.

Son plan ? Elle n’en avait aucun !
Elle n’en avait d’ailleurs aucunement besoin, selon elle. Sa main glissa vers la poignée de la porte de derrière. Fermée, il fallait s’en douter. Elle fera avec, ce n’est quand même pas une serrure qui l’arrêtera. Sa décision était prise.

Machinalement, elle frottait le fruit qu’elle venait de cueillir …. dans le panier d’une marchande, sur sa manche. Son habit était dix fois trop grand pour elle et était tellement rapiécé qu’on aurait pu se demander quelle était l’étoffe d’origine. Heureusement, l’ancien propriétaire avait eu le bon goût de trouver des pièces de même teinte. L’ensemble tendait donc vers un noir peu rigoureux, mais assez sombre au goût de la fille pour avoir attiré sa convoitise.

Une fillette tenant son frère par la main s’avança vers elle :

- Tenez ! lui dit l'enfant en tendant deux pièces.

Comme mue par un réflexe, la jeune fille prit l’argent et réalisa ensuite qu’elle s’était assise à terre et devait donc donner l’impression de demander l’aumône. En relevant la tête, elle vit les deux enfants rejoindrent leur mère et continuer leur chemin.

- Deux mistrels ! Ce sera toujours ça de moins à …

La journée passa sans autre évènement qu’une cliente dépossédée de fruits et de pain par une discrète petite main.
Lorsque la jeune fille jugea que les gens commençaient à rentrer chez eux et surtout à fermer leurs volets, elle se leva et alla étirer ses muscles raidis derrière la boutique qui l’intéressait.

Elle voulait retrouver un semblant de dignité, ne serait-ce qu’à ses propres yeux. Cette déchéance dans laquelle elle était tombée la rongeait : comment avait-elle pu passer de personne honnête de rang respectable à cette ombre emballée de noir, obligée de voler pour se nourrir. En effet, n’ayant jamais connu le travail elle n’imaginait donc absolument pas gagner de l’argent pour payer ce dont elle avait besoin.


La jeune fille poussa la porte d’entrée, et après avoir jaugé le propriétaire, un homme au bel embonpoint, sûrement pas porté sur la course à pied, elle regarda à la ronde. Un sourire étira ses lèvres lorsque ses yeux tombèrent sur une paire de bottes dans un coin. Sa joie fut encore plus grande quand elle remarqua que la tunique qu’elle avait vue depuis la rue était accompagnée d’un pantalon.

La rouquine reporta ensuite son attention sur le couloir conduisant à l’arrière boutique et à sa porte de sortie en cas de pépin. Elle touchait machinalement l’étoffe d’une cape d’un rouge éclatant.

- Je peux vous aider ? susurra une voix à son oreille.

Elle fit brusquement volte-face, et recula instinctivement. Un jeune homme, probablement le fils du patron, la fixait.

- Co… Com …. Comment …. euh …. Combien demandez-vous pour cette cape ?

Le sourire du jeune homme s’agrandit, accentuant le malaise de la jeune fille.

- Dix-sept mistrels ! Mais je doute que tu aies la monnaie, ajouta-t-il avec dédain.

Ce jeune crétin lui coupait le chemin de la sortie par la porte principale, et voilà qu’en plus, le père allait ouvrir la porte à une cliente déjà servie.

- Alors ? insista son fils.

- Et pour deux mistrels, avez-vous une cape à me proposer, mon petit frère rêve d’en avoir une ...

- Bien, je vais voir ....

La jeune rouquine retint un profond soupir de soulagement lorsqu’il tourna les talons. Le fils avait tourné à gauche dans le couloir, le père était trop occupé pour se soucier d’elle, c’était le moment pour passer à l’action.

Elle alla décrocher les vêtements qui l’intéressaient, les fourra sous le damier sombre qui lui servait de tunique et se saisit des bottes. Un coup d’œil vers l’entrée lui permit de vérifier que le patron discutait toujours en obstruant le passage. Elle passa derrière le comptoir puis dans le couloir et tâta la première poignée de droite qu’elle trouva. Elle se détendit lorsque la porte s’ouvrit, mais après avoir refermé derrière elle, elle se rendit compte que cette pièce était borgne. Elle ne s’attarda pas plus longtemps, la pièce qu’elle cherchait, comportant, en plus de sa porte de sortie, une petite fenêtre.

La jeune fille passa sa tête par l’entrebâillement de la porte, elle pouvait entendre de l’autre côté du couloir le fils du patron qui déplaçait des affaires. Elle avait la main sur la poignée de la deuxième porte de droite lorsqu’un « enfin ! » satisfait lui parvint. Il avait trouvé !

- Eh là ! cria la jeune voix masculine.

La porte que la jeune fille avait refermée sur elle avait produit un grincement imprévu autant du point de vue de la voleuse que de celui du jeune marchand qui voyait son père et l’absence de sa cliente.

Le damier sombre quant à lui était en plein remord. Voler un fruit pour manger, passe encore, de l’eau et une couverture aussi, mais là, ce vol était plus pour l’esthétique. En y réfléchissant bien, ses bottes auraient pu tenir encore longtemps, et cet habit moche et trop grand n’attirait ainsi aucune convoitise !

- Ouvre cette porte, sale petite voleuse ! rugit une voix dans le couloir. Si je t’attrape, je te couperai moi-même la main !

La sale petite voleuse ne prit pas à la légère cette menace : elle se jeta sur la porte espérant trouver la clef sur la serrure. Victoire ! Elle qui avait cru un cours instant devoir passer par la fenêtre, tourna lentement comme pour savourer l’instant la poignée. Son issue de secours s’ouvrit sans un bruit.

La voleuse respira avec délectation l’air du soir, assise sur une branche, les jambes pendant dans le vide. Prendre des vêtements avait été facile, et échapper au patron et à son fils fut un jeu d’enfant.

Pendant que le fils tentait d’entrer dans la pièce où elle se trouvait, le père, mis au courant, avait fait le tour de la boutique pour cueillir l’intruse. Cette dernière ouvrait tranquillement la porte de derrière lorsqu’il arriva. Un sourire ironique se peignit sur le visage de la jeune fille toujours caché par l’ombre de son capuchon :

- Je vous remercie de votre grande générosité, l’ami ! lui lança-t-elle. Vous devriez vous occuper de votre fils, il risque de se faire mal et de détruire du mobilier, à s’énerver ainsi !

L’homme était tellement stupéfait de constater une telle assurance chez sa voleuse qu’il restât les bras ballants face à elle. Le signal du départ vint du fils. Il avait enfin réussi à enfoncer la porte.

- Sur ce, je vous laisse ! ajouta la jeune fille avant de décamper.

Le jeune homme eut beau courir à sa suite, il ne réussit pas à la rejoindre et finalement abandonna la poursuite à l’orée d’une forêt, sans se douter un instant qu’elle se trouvait à une quinzaine de pas plus loin et plus haut. En rentrant à la boutique, il avait probablement dû trouver deux mistrels posés sur une table, soit un prix dérisoire pour ce qu’elle avait volé.

Après une bonne nuit de sommeil, Ewilan reprit sa route vêtue de ses nouveaux habits. Elle traversa deux villages et en atteignit un troisième au crépuscule. Elle admirait deux hommes s’entraînant au combat, lorsqu’une main pesa sur son épaule. La jeune fille se retourna vivement et son capuchon glissa de ses cheveux :

- C’est elle ! s’exclama un jeune homme, légèrement en retrait.

La main se resserra sur l’épaule gauche de la rouquine. Le jeune homme n’était autre que celui qu’elle avait semé la veille. Et la main qui lui broyait maintenant l’épaule appartenait à un garde.

- Tu en es certain, Drahos ? hésita l’homme, les yeux fixés sur la chevelure flamboyante.

- Tu as peur de quoi ? Qu’elle te jette un sort ?

Pendant qu’ils discutaient de la possibilité d’avoir capturé une sorcière, la potentielle adepte de sorcellerie réfléchissait à un moyen de se sortir de ce mauvais pas. Deux solutions se présentaient à elle, mais Ewilan ne voulait pas faire couler de sang. Elle opta donc pour une morsure au poignet du garde. Au cri de douleur qu’il poussa, la jeune fille supposa qu’il l’avait lâchée et prit ses jambes à son cou.
Mais c’était sans compter sur l’entraînement de l’homme, qui la rattrapa avant qu’elle n’ait eu le temps de trouver une porte ouverte. Drahos arriva quelques instants plus tard, hors d’haleine.

- Tu vois bien ….. que ce …. n’est pas une sorcière ! haleta-t-il.

- * Là, je suis vraiment mal barrée, d’ici à ce qu’il me coupe la main pour vol, il n’y a plus qu’un pas …. * pensa Ewilan.

Le garde ne répondit pas, mais sa main droite s’abattit violemment sur l’épaule de la voleuse tandis que l’autre récupérait la dague qui pendait à la ceinture de la rouquine.

- Alors, tu as déjà perdu ta langue, sorcière ?! lui demanda ironiquement Drahos en rabattant le capuchon sur ses cheveux roux.

Ewilan continua de marcher, les yeux rivés sur le sol, les mains à présent froides et moites.